Trump / Zelensky : la diplomatie spectacle ou l’art de l’impasse

La rédaction

La rédaction

Publié le 8 mars 20257 min de lecture
Trump / Zelensky : la diplomatie spectacle ou l’art de l’impasse

L’échange tendu entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky a captivé les observateurs. Trois minutes de confrontation ont suffi à faire oublier les 46 autres minutes d’un entretien qui, pourtant, se déroulait sans accroc. Certains y ont vu une preuve supplémentaire de la brutalité de Trump, d’autres un signe d’essoufflement du soutien américain à l’Ukraine. Mais ce débat passe à côté de l’essentiel.


Ce que cet épisode révèle n’est pas tant une fracture stratégique qu’un dysfonctionnement fondamental de la diplomatie moderne. Une diplomatie qui, à force de vouloir être transparente, finit par devenir inopérante. Car derrière ce face-à-face, le véritable problème n’est pas le fond du débat, mais la manière dont il a été mis en scène.

Un décor qui trompe son monde


Les images montrent un cadre chaleureux : une salle feutrée de la Maison-Blanche, un salon plutôt qu’une salle de réunion formelle. Une ambiance de discussion informelle, presque amicale, où les protagonistes semblent engagés dans un dialogue détendu. Trump plaisante, Zelensky sourit, JD Vance et Marco Rubio, assis sur un canapé adjacent, écoutent.


Mais cette impression est une illusion. Derrière la convivialité apparente, un dispositif médiatique massif est en place : des caméras retransmettent l’échange en direct, des journalistes sont présents et interviennent, posant des questions qui influencent le cours de la discussion. Ce qui aurait dû être un échange diplomatique confidentiel devient un spectacle politique.


Et c’est là que tout déraille.


Un échange privé permet des désaccords francs, voire des emportements. C’est même une condition essentielle des négociations de haut niveau : il faut pouvoir dire à l’autre ce qu’il ne veut pas entendre, tester ses limites, évaluer son état d’esprit. Mais pour que cela fonctionne, il faut un cadre qui protège les discussions. L’espace diplomatique repose sur cette règle non écrite : ce qui se dit en négociation ne sort pas de la pièce.


Or, ici, ce n’était pas une discussion privée. Ce n’était pas non plus une conférence de presse classique, où chacun déroule des éléments de langage maîtrisés. C’était un hybride bancal, un simulacre de discussion diplomatique où les enjeux réels ont été sacrifiés au profit d’une mise en scène politique.

Un clash écrit d’avance


Tout semblait bien se dérouler, jusqu’à ce que la conversation prenne un tournant plus épineux. Zelensky avance une thèse simple : on ne peut pas négocier avec Poutine, car il ne respecte jamais ses engagements. Un argument cohérent du point de vue ukrainien, mais qui pose problème dans ce contexte précis.


D’abord parce que Trump, qui envisage justement de négocier avec la Russie, ne peut pas se permettre de donner l’impression qu’il est en train de mener des pourparlers inutiles. Dire en public que Poutine ne respecte jamais ses engagements, c’est implicitement dire que Trump perd son temps, voire qu’il est naïf. Un camouflet que Trump, habitué à projeter une image de force et de contrôle, ne peut pas laisser passer.


Ensuite parce que la diplomatie est aussi une question d’ego. Et Trump a bâti son personnage sur l’idée qu’il est un négociateur hors pair, capable d’obtenir ce que personne d’autre n’a pu obtenir. Zelensky, en rejetant toute possibilité d’accord avec Moscou, le place face à une contradiction : s’il persiste dans sa volonté de négocier, c’est qu’il se trompe. Mais Trump ne supporte pas qu’on lui dise qu’il se trompe.


L’échange s’envenime lorsqu’intervient JD Vance. Le vice-président tente d’expliquer que l’Ukraine peine à recruter de nouveaux soldats. Un constat factuel, mais qui, une fois encore, n’aurait jamais dû être formulé devant des caméras. Zelensky, agacé, réplique : « Vous ne comprenez pas la situation parce que vous n’êtes jamais venu en Ukraine. » Une attaque ad hominem qui touche un point sensible. Car JD Vance a été soldat en Irak, il a tiré de son expérience un livre qui a fait sa réputation, et il n’apprécie pas qu’on le traite d’ignorant sur les réalités de la guerre.


À ce moment-là, la situation aurait pu être rattrapée. Mais Zelensky commet une erreur encore plus grave en s’adressant directement à Trump : « Les États-Unis sont protégés par un océan, mais vous finirez vous aussi par ressentir les effets de la guerre. »


C’est la phrase de trop.


Trump voit immédiatement une attaque contre la puissance américaine, une remise en cause de l’idée que l’Amérique est invincible. Or, toute sa communication repose sur le slogan Make America Great Again, sur la projection d’une force sans faille. Que Zelensky, dont le pays survit grâce au soutien américain, ose suggérer que les États-Unis sont vulnérables, c’est un affront qu’il ne peut pas laisser passer.


Il coupe court : « You don’t know that, don’t tell us what we are gonna feel. » Une réponse cinglante, qui met fin à la discussion et rappelle brutalement qui tient les rênes.

Un accrochage sans conséquence… mais lourd de sens


Une fois l’altercation passée, les esprits se calment. La discussion reprend sur d’autres sujets, quelques sourires sont échangés, et la réunion se termine sans qu’aucune rupture officielle ne soit actée.


Mais ce moment révèle une tendance plus inquiétante : l’effacement progressif des circuits diplomatiques traditionnels. Normalement, ces tensions auraient été amorties par des discussions en amont, par des échanges entre conseillers, par un travail de filtrage qui aurait évité ce type de confrontation directe.


Au lieu de cela, tout se joue désormais au plus haut niveau, dans une logique de face-à-face permanent entre chefs d’État. Une approche séduisante en apparence – on va droit au but, on évite les intermédiaires –, mais qui expose chaque négociation au risque d’un dérapage incontrôlé. Parce qu’un président, quel qu’il soit, n’a pas la même liberté de parole qu’un diplomate. Il ne peut pas dire une chose aujourd’hui et la corriger demain sans perdre en crédibilité.


Zelensky n’aurait jamais dû se rendre à Washington pour une entrevue de 49 minutes. Ce type de rencontre aurait dû être préparé en amont, mené par son ministre des Affaires étrangères ou son ambassadeur. Lui-même n’aurait dû intervenir que pour valider les accords, pas pour entrer dans un bras de fer médiatique avec Trump.

Quand la diplomatie devient un produit médiatique


Ce que cet échange montre avant tout, c’est une transformation profonde des relations internationales. La diplomatie ne se fait plus dans l’ombre, à huis clos, mais en pleine lumière, sous l’œil des caméras. Une évolution qui correspond aux exigences d’un monde hyperconnecté, mais qui va à l’encontre de l’essence même de la négociation.


Car la diplomatie n’est pas un talk-show. Elle suppose de la retenue, du secret, du temps long. Elle repose sur l’idée qu’il faut pouvoir dire certaines vérités sans qu’elles soient immédiatement instrumentalisées par les médias, sans que chaque mot prononcé devienne un argument de campagne ou un prétexte à la polémique.


En voulant tout rendre public, en exposant en temps réel les dissensions, on paralyse le processus diplomatique. Car une négociation, par définition, suppose des compromis, des ajustements progressifs, des positions que l’on teste avant de les officialiser. Si tout est immédiatement mis en scène, si chaque désaccord devient un affrontement télévisé, alors la diplomatie ne sert plus à rien.


Et c’est précisément ce que cet épisode illustre. Non pas une fracture stratégique entre les États-Unis et l’Ukraine, mais l’échec d’un format. L’échec d’une diplomatie qui, à force de vouloir être transparente, finit par ne plus être diplomatie du tout.

À lire aussi.

Lettre d'informations.

Recevez chaque semaine les décryptages de la semaine.
Garanti sans spam.