“L’Ange de l’Histoire” et la Gestion des Actifs Hybrides : Une Révolution Silencieuse

Prologue : L’Ange de l’Histoire et la Finance
Walter Benjamin, en décrivant “L’Ange de l’Histoire” de Paul Klee, évoquait une figure symbolique du temps, regardant fixement les ruines du passé alors qu’un vent violent l’emportait inexorablement vers l’avenir. Cet ange incarne l’impuissance face aux transformations du monde, un témoin passif des cycles qui se répètent et des bouleversements qui s’enchaînent.
En finance, cet ange pourrait représenter l’investisseur attaché à des modèles dépassés, incapable d’adapter sa stratégie à une réalité économique en mutation. Pendant des décennies, la gestion de portefeuille a reposé sur un cadre rigide distinguant deux grandes catégories d’actifs : les actifs économiques et les actifs monétaires. Ce modèle simple et efficace a pourtant atteint ses limites face à l’émergence d’une troisième catégorie : les actifs hybrides. Ces instruments, à la croisée des chemins entre les dynamiques monétaires et économiques, nécessitent une approche plus nuancée pour éviter les pièges de l’investissement traditionnel.
L’intégration de ces actifs dans une stratégie de gestion représente une véritable révolution silencieuse. En s’écartant de la simple catégorisation binaire, on ouvre la voie à une gestion du risque plus fine, permettant de mieux résister aux crises financières et aux transformations des marchés.
Chapitre 1 : Le Portefeuille de Brown – Une Vision Structurée de l’Investissement
La construction d’un portefeuille repose sur un principe fondamental : répartir les investissements entre plusieurs types d’actifs afin d’optimiser le rendement tout en maîtrisant le risque. L’un des modèles les plus influents en matière de gestion d’actifs est le portefeuille permanent de Harry Brown. Celui-ci repose sur une idée forte : l’économie étant soumise à des cycles, un portefeuille bien conçu doit pouvoir traverser toutes les phases, qu’il s’agisse de croissance, de récession, d’inflation ou de déflation.
Ce portefeuille est structuré en quatre catégories d’actifs purs :
• Les actions, qui captent la croissance économique en période d’expansion.
• Les obligations d’État à long terme, qui protègent en cas de récession en raison de la baisse des taux d’intérêt.
• L’or, qui joue un rôle de valeur refuge lorsque la confiance dans la monnaie s’effondre.
• Le cash et les obligations à court terme, qui assurent une stabilité en période d’incertitude.
Chacun de ces actifs possède une identité claire et répond à une dynamique bien définie. Cette architecture a fait ses preuves dans un monde où l’on pouvait classer les instruments financiers selon une logique binaire : soit monétaires, soit économiques. Mais avec l’évolution des marchés, cette frontière s’est brouillée. Un nouvel enjeu est apparu : comment gérer les actifs qui ne correspondent pas exactement à ces catégories ?
Chapitre 2 : L’Émergence des Actifs Hybrides
Les actifs hybrides sont des instruments financiers qui possèdent une double nature, oscillant entre logique économique et logique monétaire. Contrairement aux actifs traditionnels, leur comportement dépend de plusieurs facteurs simultanément, ce qui complique leur intégration dans un portefeuille structuré.
L’Argent (Silver) : Un Métal à Double Face
L’argent est souvent perçu comme un actif similaire à l’or, mais cette vision est réductrice. Contrairement à l’or, qui est principalement un actif monétaire utilisé comme valeur refuge, l’argent a aussi un rôle industriel. Il est utilisé dans la fabrication de composants électroniques, dans le secteur de l’énergie solaire et dans diverses applications technologiques. Son prix dépend donc à la fois de la confiance monétaire, comme l’or, et de la demande industrielle, comme une matière première.
Cela crée un paradoxe : en période d’inflation monétaire, l’argent peut s’apprécier, mais si la croissance industrielle chute, il peut également être sous pression. Il ne suit donc pas une seule logique mais deux dynamiques qui peuvent parfois s’opposer.
Les Obligations d’Entreprises : Un Risque Économique et Monétaire
Les obligations d’entreprises, ou corporate bonds, sont un autre exemple d’actif hybride. À première vue, elles ressemblent aux obligations d’État puisqu’il s’agit d’instruments de dette rapportant un rendement fixe. Mais leur différence majeure réside dans l’émetteur : au lieu d’un État souverain capable d’imprimer de la monnaie pour rembourser sa dette, l’émetteur est une entreprise privée. La solvabilité de cette entreprise dépend donc de sa capacité à générer des revenus dans un environnement économique donné.
Ainsi, si les taux d’intérêt augmentent fortement, les obligations d’entreprises deviennent moins attractives car les obligations d’État, considérées comme plus sûres, offrent des rendements plus élevés. Par ailleurs, si l’économie entre en récession, le risque de défaut des entreprises s’accroît, rendant ces obligations encore plus risquées. Ces instruments sont donc affectés par deux forces contradictoires : la politique monétaire et la conjoncture économique.
Les Obligations Indexées sur l’Inflation (TIPS) : Entre Monnaie et Inflation
Les TIPS (Treasury Inflation-Protected Securities) sont des obligations d’État dont le rendement est ajusté en fonction de l’inflation. Leur valeur dépend donc de l’évolution des prix à la consommation. Si l’inflation est forte, elles permettent de préserver le pouvoir d’achat. Mais si l’inflation diminue, leur rendement devient peu intéressant par rapport aux obligations classiques.
Ces actifs hybrides soulèvent un problème majeur : comment les intégrer dans un portefeuille sans fausser la logique d’équilibre entre actifs monétaires et actifs économiques ?
Chapitre 3 : La Stratégie de Double Exclusion
Plutôt que de chercher à prédire l’avenir, une stratégie efficace consiste à éviter les zones de risque extrême pour chaque actif hybride. Ces actifs, qui combinent à la fois une dimension monétaire et une dimension économique, ne doivent être inclus dans un portefeuille que si aucune de leurs composantes ne se trouve en situation critique.
Chaque actif hybride possède son propre “enfer”, c’est-à-dire une situation où il devient un mauvais investissement.
• L’argent (silver) est un actif à la fois monétaire et industriel. Il devient risqué si les taux d’intérêt réels sont trop élevés (réduisant l’intérêt pour les métaux précieux) ou si la demande industrielle s’effondre.
• Les obligations d’entreprises (corporate bonds) subissent un double risque : elles perdent de la valeur si les taux d’intérêt montent fortement (rendant les obligations d’État plus attractives) ou si l’économie ralentit, augmentant le risque de faillite des entreprises.
• Les obligations indexées sur l’inflation (TIPS) sont attractives en période d’inflation, mais perdent de leur intérêt si les taux montent trop vite ou si l’inflation chute brutalement.
Cette méthode de double exclusion permet d’intégrer intelligemment ces actifs en éliminant les périodes où ils sont les plus risqués. L’application de cette stratégie en 2024 a permis d’éviter la chute des obligations longues, de tirer parti de la hausse de l’or et des actions, et d’optimiser les performances du portefeuille.
Plutôt que de spéculer sur l’avenir, cette approche offre une gestion disciplinée du risque, garantissant une meilleure résilience du portefeuille face aux crises et aux cycles économiques.
Chapitre 4 : Résultats et Perspectives
L’application de la méthode de double exclusion en 2024 a permis d’obtenir des performances remarquables, avec un portefeuille équilibré affichant +18 % et un portefeuille dynamique atteignant +22 %. Ces résultats sont dus à des choix stratégiques basés sur l’évitement des zones de danger, notamment :
• L’exclusion des obligations longues, qui ont souffert de la remontée des taux d’intérêt.
• L’investissement dans l’or, qui a bénéficié d’un environnement monétaire favorable.
• Le maintien des actions, soutenues par une croissance économique mondiale solide.
• L’ajout de l’argent au bon moment, lorsque ses composantes monétaires et industrielles étaient alignées.
L’efficacité de cette approche repose sur un principe simple : ne pas chercher à prédire le marché, mais éviter les actifs en situation de risque extrême. Cela permet d’optimiser les rendements tout en réduisant les pertes.
L’avenir reste incertain et les conditions de marché peuvent changer rapidement. Si les taux longs continuent de monter, les obligations pourraient redevenir attractives tandis que l’or perdrait en intérêt. La clé du succès est donc une gestion dynamique et rationnelle, où l’on ajuste en permanence son portefeuille en fonction des signaux de risque.
Plutôt qu’une simple diversification, cette approche représente une nouvelle façon d’investir, plus résiliente et plus performante, qui permet d’adapter ses choix à toutes les configurations économiques sans subir de pertes majeures.
Épilogue : Vers une Nouvelle Compréhension des Marchés
“L’Ange de l’Histoire”, selon Walter Benjamin, illustre la tension entre le passé et l’avenir. En gestion de portefeuille, ceux qui restent figés dans des modèles dépassés risquent d’être balayés par les transformations du marché. L’intégration des actifs hybrides n’est pas une simple évolution, c’est une nécessité.
L’histoire nous enseigne que la finance est un monde en perpétuel changement. Ceux qui comprennent ces dynamiques et savent adapter leur approche seront ceux qui prospéreront, tandis que les autres, comme l’ange de Paul Klee, resteront figés devant les ruines de leurs certitudes passées.
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