Mercosur : Quand la France défend ses rentes agricoles comme si c’était une espèce en voie de disparition
L’accord entre l’Union européenne et le Mercosur, fruit de deux décennies de négociations, est à deux doigts d’être ratifié. Cet accord commercial de grande envergure ambitionne de lever les droits de douane sur 90 % des produits échangés, ouvrant un accès inédit à un marché de 700 millions de consommateurs. Si l’industrie européenne se réjouit de cette perspective, une partie de l’agriculture française dénonce une « concurrence déloyale » et menace de s’opposer farouchement à l’accord. Mais derrière les cris d’alarme se cachent des réalités bien plus complexes, entre dépendance aux subventions, suradministration et incapacité à embrasser l’innovation.
Mercosur : un marché colossal à portée de main
L’Amérique latine représente une terre de promesses économiques :
• Population cumulée : 700 millions d’habitants.
• PIB total des quatre pays du Mercosur : environ 2 831 milliards USD en 2024.
• Classe moyenne en pleine expansion : Au Brésil, par exemple, 60 % de la population appartient désormais à la classe moyenne, créant une demande croissante pour des produits alimentaires et industriels de qualité.
L’accord promet d’éliminer des droits de douane importants :
• Sur les exportations européennes (produits manufacturés, chimiques, pharmaceutiques, et alimentaires), représentant déjà 45 milliards d’euros par an, avec un potentiel de croissance de 20 % à 30 % dans les cinq premières années.
• Sur les importations en provenance du Mercosur, avec des quotas stricts pour limiter les effets sur certains secteurs sensibles, comme la viande bovine ou le poulet.
Les gagnants de l’accord : un bond économique attendu
L’industrie européenne, en difficulté sur d’autres marchés mondiaux en raison des tensions géopolitiques et des politiques protectionnistes américaines ou chinoises, trouve dans le Mercosur un relais de croissance :
• Automobile : Les exportations européennes de voitures vers le Brésil, actuellement taxées à 35 %, pourraient bondir de 25 % à 30 % grâce à la suppression progressive des droits de douane. Cela représenterait un gain de plusieurs milliards d’euros pour des constructeurs comme Renault, Volkswagen ou Stellantis, qui cherchent à élargir leur présence en Amérique latine.
• Chimie et pharmacie : L’Union européenne, qui exporte 15 milliards d’euros de produits chimiques et pharmaceutiques vers le Mercosur, pourrait voir ces chiffres croître de 30 % dans les cinq prochaines années grâce à une meilleure harmonisation réglementaire.
• Produits agroalimentaires haut de gamme : Les fromages AOP, le vin ou encore le foie gras pourraient conquérir une clientèle latino-américaine en quête de produits premium. En 2023, les exportations françaises de fromage vers le Brésil s’élevaient à 280 millions d’euros ; elles pourraient doubler d’ici 2030 grâce à cet accord.
L’agriculture française : entre opportunités et résistances
Les opportunités pour les agriculteurs mondialisés
Une partie de l’agriculture française, tournée vers l’exportation, a tout à gagner de cet accord. Les producteurs de vin, de fromages AOP, et de produits bio de qualité voient dans le Mercosur un nouveau débouché.
En chiffres :
• En 2023, la France exportait 16,2 milliards d’euros de vins et spiritueux, dont 2,4 milliards vers l’Amérique latine.
• Les produits laitiers et fromagers représentent 7,5 milliards d’euros d’exportations, avec un potentiel de croissance de 50 % grâce à l’ouverture de nouveaux marchés.
Les résistances des agriculteurs protégés
En revanche, une grande partie de l’agriculture française, protégée par des subventions publiques massives, s’oppose farouchement à l’accord :
• Les subventions agricoles françaises atteignent 9,4 milliards d’euros par an, dont 7,5 milliards via la Politique Agricole Commune (PAC).
• En 2024, on compte 400 000 agriculteurs en France, contre 1,2 million en 1980.
Malgré cette diminution drastique du nombre d’agriculteurs, la bureaucratie agricole a explosé :
• En 1980, il y avait 18 000 fonctionnaires au ministère de l’Agriculture. En 2024, ce chiffre a doublé pour atteindre 36 000.
• Résultat : aujourd’hui, il y a 1 fonctionnaire pour 11 agriculteurs, contre 1 pour 66 en 1980.
Ce déséquilibre témoigne d’une agriculture étouffée par la bureaucratie, incapable de s’adapter aux réalités du commerce mondial.
La peur de la concurrence « déloyale »
Le Brésil, surnommé la « ferme du monde », est un géant de la production agricole :
• Poulet : 4,2 millions de tonnes exportées en 2023, soit 35 % du commerce mondial.
• Viande bovine : 2 millions de tonnes exportées chaque année, dont une part croissante vers l’Europe.
• Soja : Avec une production de 138 millions de tonnes en 2023, le Brésil est le premier exportateur mondial.
Le coût de production au Brésil est bien inférieur à celui de la France :
• Poulet : 1,20 €/kg au Brésil contre 2,50 €/kg en France.
• Viande bovine : 2,60 €/kg contre 4,50 €/kg en France.
Ces écarts s’expliquent par :
• Une mécanisation avancée qui augmente les rendements tout en réduisant les coûts.
• L’utilisation du génie génétique qui permet de réduire de 40 % l’usage des pesticides et de 30 % la consommation d’eau.
En France, les rendements restent inférieurs à ceux de leurs voisins européens :
• En blé, la France produit 74 quintaux/ha, contre 80 quintaux/ha en Allemagne.
• En maïs, les rendements français sont 20 % inférieurs à ceux des exploitations espagnoles.
Une bureaucratie et des normes paralysantes
La méfiance envers l’innovation et les réglementations excessives freinent l’agriculture française. Par exemple :
• Les normes environnementales européennes interdisent l’usage de certaines semences génétiquement modifiées, qui permettent pourtant de réduire les intrants chimiques.
• La France impose des règles strictes sur l’utilisation des machines agricoles, augmentant les coûts d’investissement pour les exploitants.
En conséquence, une partie des agriculteurs français est condamnée à vivre de subventions plutôt que de compétitivité.
Et le consommateur dans tout cela ?
Contrairement aux idées reçues, l’accord Mercosur ne signifie pas une invasion massive de produits brésiliens dans les rayons des supermarchés français. Les quotas prévus sont limités :
• Poulet brésilien : 180 000 tonnes par an, soit seulement 1,6 % de la consommation européenne.
• Viande bovine : 99 000 tonnes, soit 0,9 % de la consommation totale en Europe.
De plus, la traçabilité garantit que le consommateur pourra toujours choisir entre un poulet de Bresse et un poulet du Mato Grosso.
Conclusion : une opportunité historique gâchée par l’immobilisme
L’accord Mercosur offre une chance unique à l’Europe et à la France de renforcer leurs liens commerciaux avec une région en plein essor. Pourtant, une partie de l’agriculture française, soutenue par des syndicats qui défendent leurs rentes administratives, s’enferme dans un protectionnisme rétrograde.
Le problème n’est pas la concurrence brésilienne, mais une incapacité structurelle à moderniser l’agriculture française. Alors que le monde avance, certains préfèrent s’accrocher au passé, au détriment de la compétitivité et de l’innovation. Si la France ne change pas de cap, elle risque de transformer son agriculture en musée subventionné plutôt qu’en acteur majeur du commerce mondial.
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