Le débat public sur les inégalités économiques met souvent en avant des comparaisons entre la prospérité des grandes entreprises et les difficultés des populations les plus vulnérables.
Ce type de comparaison, bien que pertinent à première vue, soulève des questions de corrélation inexacte. Cet essai examine la critique d'un commentateur économique renommé à l'encontre de l'idée que la distribution record de dividendes dans les grandes entreprises soit directement liée à la précarité des étudiants. Nous démontrerons, à l'aide d'exemples concrets et de données chiffrées, pourquoi cette corrélation est trompeuse et pourquoi les causes de la précarité étudiante sont essentiellement liées à des choix politiques et à une gestion économique nationale inefficace.
Le rôle des dividendes dans une économie capitaliste
Les dividendes représentent une part des bénéfices redistribuée aux actionnaires. En 2022, les entreprises du CAC 40 ont versé environ 73 milliards d'euros de dividendes, un chiffre record qui reflète une performance solide dans un contexte économique incertain.
Cependant, cettesomme ne doit pas être vue comme une simple redistribution de richesse à une élite financière, mais plutôt comme une récompense pour les investisseurs qui prennent des risques en soutenant l'activité des entreprises. Ces entreprises investissent massivement dans l'innovation, l'expansion à l'international et la création d'emplois.
Par exemple, des entreprises comme L'Oréal et TotalEnergies figurent parmi celles qui emploient des milliers de salariés en France et participent activement à l'économie globale.
La redistribution des dividendes ne concerne pas seulement une minorité de personnes très riches.
En France, de nombreux petits actionnaires bénéficient de ces dividendes à travers des investissements personnels ou des fonds de pension. Parexemple, les assurances vie, qui sont un produit d'épargne très populaire en France, investissent une partie de leurs fonds dans des actions du CAC 40, garantissant ainsi des rendements pour les épargnants.
En 2022, l'assurance vie représentait 1 900 milliards d'euros de placements, une somme qui profite indirectement à des millions de citoyens. Par conséquent, la distribution de dividendes participe à la solidité de ces fonds, qui à leur tour garantissent des revenus supplémentaires à des millions de Français.
Faire un lien direct entre les dividendes et la précarité étudiante est une fausse équivalence. Prenons l'exemple des États-Unis : en 2021, les entreprises américaines ont versé plus de 511 milliards de dollars de dividendes, et pourtant, ce pays connaît également une grande précarité étudiante.
Cela montre que ces deux phénomènes n'ont pas de lien causal direct. La précarité des étudiants dépend d'autres facteurs économiques et politiques, comme le coût de la vie, l'accès aux aides sociales, et la gestion des politiques éducatives.
L'origine de la précarité étudiante : des causes économiques et politiques distinctes
En France, la précarité étudiante est d'abord liée aux choix politiques en matière d'éducation.
Depuis plusieurs années, le financement de l'éducation supérieure ne suit pas le rythme de l'augmentation du nombre d'étudiants. Par exemple, entre 2010 et 2020, le nombre d'étudiants inscrits dans les universités françaises a augmenté de 14 %, alors que les investissements publics dans les infrastructures universitaires et le logement étudiant n'ont pas connu la même croissance.
Cela crée une pénurie de logements étudiants abordables, aggravée par l'augmentation des loyers dans les grandes villes. À Bordeaux, une des villes les plus affectées, les loyers ont augmenté de plus de 40 % en dix ans, exacerbant ainsi la précarité des jeunes.
Parallèlement, le coût de la vie a considérablement augmenté en France, notamment en ce qui concerne les biens de première nécessité et les loyers. Le budget alimentaire des étudiants, par exemple, a augmenté de 12 % en moyenne entre 2019 et 2022, selon une enquête de l'Union Nationale des Étudiants de France (UNEF). Pourtant les bourses, sur critères sociaux n'ont pas été revalorisées de manière significative depuis plusieurs années, creusant ainsi l'écart entre les besoins des étudiants et les aides disponibles. La précarité étudiante est donc principalement le résultat d'une combinaison d'un coût de la vie en hausse et de revenus stagnants, plutôt que des dividendes versés par les grandes entreprises.
Les mauvaises performances économiques de la France contribuent également à la précarité. Depuis plus de dix ans, la croissance du PIB français stagne autour de 1,5 % par an en moyenne un chiffre largement inférieur à celui de pays comme l'Allemagne ou les États-Unis.
Cette faiblesse de la croissance économique s'explique par plusieurs facteurs : un marché du travail peu flexible, des charges fiscales élevées pour les entreprises, et un manque d'incitations à l'innovation. Ces choix politiques freinent la création de richesse et aggravent la situation des plus vulnérables, notamment les étudiants, qui pâtissent d'un manque de réformes structurelles dans les secteurs de l'éducation et du logement.
La séparation des enjeux : pourquoi les dividendes ne sont pas responsables
Les entreprises du CAC 40, tout en étant de grands contributeurs à l'économie, ne sont pas responsables de la redistribution des richesses au niveau national.
Cette tâche incombe aux gouvernements, qui doivent utiliser les outils fiscaux et sociaux pour corriger les inégalités. Par exemple, en France, les recettes fiscales des impôts sur les sociétés en 2022 s'élevaient à environ 46 milliards d'euros. Ces fonds devraient être utilisés pour financer des programmes sociaux, des bourses étudiantes, et des logements abordables, mais l'inefficacité des politiques publiques entrave une redistribution efficace.
Le gouvernement français a mis en place des taxes sur les dividendes et les plus-values afin de redistribuer une partie de ces richesses. En 2018, l'impôt sur les dividendes et les plus-values a rapporté plus de 10 milliards d'euros à l'État.
Cependant, la redistribution de ces sommes vers les étudiants et les plus pauvres reste insuffisante. Cela montre bien que ce n'est pas la distribution de dividendes qui pose problème, mais la manière dont l'État choisit d'allouer les fonds publics issus des recettes fiscales.
La dépendance croissante aux aides publiques des étudiants est symptomatique d'un système où l'initiative individuelle est étouffée par une dépendance excessive à l'État. Dans certains pays, comme l'Allemagne, les étudiants sont encouragés à travailler pendant leurs études et bénéficient d'un système d'apprentissage plus souple. En comparaison, le système français, avec des aides publiques rigides et peu adaptés limite les possibilités d'autonomie économique pour les jeunes. Cela contribue à la précarité, tandis que les grandes entreprises, par leur rôle dans la création d'emplois, offrent une solution partielle mais non négligeable au problème.
Conclusion
Il est erroné de lier la distribution de dividendes des grandes entreprises à la précarité étudiante. Ces deux phénomènes relèvent de dynamiques économiques et politiques distinctes. La distribution desdividendes fait partie du fonctionnement normal d'une économie de marché, tandis que la précarité étudiante est davantage un produit de mauvaises politiques publiques, de la stagnation des revenus et de l'augmentation du coût de la vie.
Pour résoudre ces problèmes, il est nécessaire d'agir sur la redistribution des richesses via des réformes fiscales, d'augmenter les investissements dans l'éducation et d'encourager l'autonomie des jeunes, plutôt que de blâmer les grandes entreprises pour leur succès économique.