Analyse critique du programme économique de Marine Le Pen
Le programme économique de Marine Le Pen, tel que présenté dans son livret de 2022 et mis à jour le 14 septembre 2024, propose une approche centrée sur le nationalisme, le protectionnisme et une intervention étatique renforcée dans plusieurs secteurs clés. Ce projet, bien que répondant à certaines problématiques actuelles de l’économie française, présente plusieurs risques liés à une approche dirigiste et protectionniste, susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la compétitivité à long terme.
1. Protectionnisme et patriotisme économique : des risques de distorsion compétitive
Le programme défend un “protectionnisme intelligent”, basé sur une priorité nationale dans les marchés publics et un contrôle accru des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques.
Point positif :
Le patriotisme économique et la priorité donnée aux entreprises françaises dans les commandes publiques sont des mesures potentiellement bénéfiques à court terme. En favorisant les entreprises locales, cela pourrait permettre de réduire le déficit commercial de la France, qui s’élevait à 164 milliards d’euros en 2022. De plus, cette approche est déjà mise en pratique dans d’autres grandes économies comme les États-Unis avec le “Buy American Act”.
Point négatif :
Toutefois, un protectionnisme excessif peut rendre les entreprises moins compétitives à l’international. L’histoire montre que, dans des situations similaires, la protection des industries conduit souvent à une inefficacité et à une perte de compétitivité, comme ce fut le cas dans les années 1970 avec l’industrie automobile française. Par ailleurs, ce type de mesures pourrait être contraire aux règles européennes et de l’OMC, entraînant des sanctions économiques pour la France.
Exemple concret :
Dans les années 1980, les États-Unis ont imposé des restrictions aux importations de voitures japonaises pour protéger leur industrie automobile. Bien que cela ait temporairement aidé des constructeurs comme General Motors ou Ford, ces entreprises ont continué à souffrir de leur manque de compétitivité et de leur retard technologique par rapport à leurs concurrents japonais. Ce protectionnisme n’a fait que repousser les réformes nécessaires et a finalement aggravé les difficultés économiques de ces entreprises face à une concurrence mondiale de plus en plus forte. Ce cas illustre comment des mesures protectionnistes peuvent entraver l’innovation et la compétitivité à long terme.
Solution proposée :
Le protectionnisme est une erreur car il mène inévitablement à l’inefficacité économique et à la baisse de compétitivité internationale. Pour renforcer l’économie, il faut réduire les barrières douanières et permettre une véritable concurrence. Les entreprises françaises doivent s’adapter à un marché mondial en innovant et en se concentrant sur des secteurs où elles peuvent exceller. Par ailleurs, il est essentiel de favoriser un environnement fiscal et réglementaire propice aux affaires, ce qui attirera naturellement des investissements étrangers tout en renforçant les entreprises locales.
Action : Simplification du code du travail et baisse des charges fiscales pour rendre les entreprises plus compétitives, sans avoir besoin de protectionnisme.
2. Baisse des impôts de production : une mesure bienvenue mais insuffisante
Le programme propose de réduire les impôts de production, qui représentent 4,7 % du PIB en France, un niveau nettement supérieur à celui observé dans d’autres pays de l’Union européenne (2,5 %) et en Allemagne (1 %).
Point positif :
La suppression de la Contribution Foncière des Entreprises (CFE), ainsi que d’autres impôts de production, est une mesure importante pour améliorer la compétitivité des TPE et PME. La réduction de ces charges fiscales pourrait permettre à ces entreprises de disposer de davantage de liquidités pour investir et créer des emplois.
Point négatif :
Cependant, la baisse des impôts de production seule ne suffira pas à relancer l’économie française. La productivité, en baisse de 3 % en France entre 2017 et 2022, est un problème structurel majeur. Les pays de l’OCDE ont, dans le même temps, enregistré une hausse de la productivité de 5 %, ce qui accentue le retard français. Il est donc crucial d’accompagner cette baisse d’impôts de réformes profondes sur le marché du travail et le système éducatif pour redynamiser la productivité nationale.
Exemple concret :
L’Allemagne a réussi à combiner une baisse des impôts de production avec des réformes structurelles. Par exemple, après les réformes Hartz dans les années 2000, qui ont dynamisé le marché du travail, l’Allemagne a vu sa productivité s’améliorer. En 2022, l’impôt sur les sociétés en Allemagne était de 15 %, beaucoup plus bas qu’en France. Les réformes ont contribué à une plus grande flexibilité du marché du travail, à l’augmentation des investissements et à une plus grande compétitivité des entreprises allemandes sur la scène internationale. Cela montre que les réductions fiscales, sans réformes structurelles, ne suffisent pas à relancer une économie.
Solution proposée :
Bien que la réduction des impôts de production soit une bonne idée, il faut aller plus loin. Le problème en France est l’ampleur des dépenses publiques et la part de l’État dans l’économie. Pour alléger la fiscalité, il faut d’abord réduire massivement la dépense publique. Cela passe par une réforme profonde des services publics, notamment en réduisant le nombre de fonctionnaires et en privatisant de nombreux secteurs (comme les transports ou la santé), qui pourraient être gérés de manière plus efficace par le secteur privé. La réduction des impôts doit s’accompagner de la déréglementation et de la libéralisation des marchés pour encourager l’innovation et l’initiative entrepreneuriale.
Action : Réduction drastique des dépenses publiques, libéralisation des secteurs économiques, et réduction des impôts pour stimuler la compétitivité.
3. Un programme énergétique ambitieux mais difficilement réalisable
Marine Le Pen met l’accent sur le nucléaire pour faire de la France un “paradis énergétique”. Le programme prévoit la construction de 20 nouveaux réacteurs EPR d’ici 2045 et l’optimisation du parc nucléaire actuel.
Point positif :
Le choix du nucléaire est pertinent. La France dispose d’un avantage concurrentiel avec son parc nucléaire, qui produit plus de 70 % de l’électricité du pays. Une baisse de 30 % des coûts de l’électricité pour les entreprises pourrait renforcer la compétitivité des industries françaises, notamment dans les secteurs fortement énergivores.
Point négatif :
Néanmoins, la faisabilité de ce programme est sujette à caution. Le chantier de l’EPR de Flamanville, dont le budget est passé de 3 milliards à plus de 12 milliards d’euros, témoigne de la difficulté à gérer ces projets d’infrastructure en France. De plus, ces investissements massifs risquent de creuser la dette publique, qui dépasse déjà 110 % du PIB. Sans une réforme complète de la gestion d’EDF et un encadrement strict des coûts, ces projets pourraient devenir insoutenables pour les finances publiques.
Exemple concret :
Le projet du réacteur EPR de Flamanville, initialement prévu pour un coût de 3,3 milliards d’euros, a subi de nombreux retards et des dépassements de budget spectaculaires, avec un coût final estimé à plus de 12 milliards d’euros et une mise en service retardée à 2024 (au lieu de 2012). Cet exemple illustre les défis opérationnels et financiers auxquels la France pourrait faire face en lançant 20 nouveaux réacteurs. Sans une meilleure gestion de ces projets, l’accumulation de dette publique liée aux infrastructures énergétiques pourrait peser lourdement sur l’économie.
Solution proposée :
L’énergie est un secteur stratégique, mais il ne doit pas être géré par l’État. EDF est un exemple typique de la mauvaise gestion publique. Il faut privatiser le secteur de l’énergie, ouvrir le marché à la concurrence, et laisser les entreprises privées prendre en charge le développement de nouvelles technologies nucléaires. En ce qui concerne les énergies renouvelables, elles doivent également être développées par le secteur privé sans subventions publiques. La concurrence entre les entreprises réduira les coûts, améliorera l’efficacité, et stimulera l’innovation technologique.
Action : Privatisation d’EDF et du secteur de l’énergie, dérégulation et ouverture complète du marché énergétique à la concurrence pour stimuler l’innovation et la baisse des coûts.
4. Fonds souverain : une gestion publique à risque
Le programme prévoit la création d’un fonds souverain pour orienter l’épargne des Français vers des secteurs stratégiques tels que l’industrie et l’énergie.
Point positif :
Mobiliser l’épargne des Français, qui atteint un taux de 15 % du revenu disponible brut, pour soutenir l’économie productive pourrait, en théorie, stabiliser des secteurs en difficulté. Un tel fonds pourrait également protéger certaines entreprises françaises des rachats par des fonds étrangers.
Point négatif :
Cependant, l’expérience montre que les fonds souverains gérés par l’État sont souvent inefficaces. Le Fonds Stratégique d’Investissement (FSI), créé en 2008 pour des objectifs similaires, n’a pas atteint ses objectifs initiaux. La gestion publique de ce type de fonds est souvent marquée par une allocation inefficace des ressources, car elle est guidée par des objectifs politiques plutôt qu’économiques. Il existe donc un risque élevé que ce fonds ne parvienne pas à relancer efficacement l’économie, tout en captant des capitaux qui auraient pu être alloués de manière plus productive par des acteurs privés.
Exemple concret :
Le Fonds Stratégique d’Investissement (FSI), lancé par l’État français en 2008, avait pour but de soutenir les entreprises françaises dans les secteurs stratégiques. Cependant, ses résultats ont été décevants : plusieurs investissements se sont avérés peu rentables et certaines entreprises soutenues par le fonds ont fini par être vendues à des investisseurs étrangers. Le cas de DailyMotion, soutenu par le FSI, illustre cet échec. Bien que la plateforme de vidéo ait reçu un soutien financier, elle a finalement été vendue à l’américain Vivendi en 2015, ce qui remet en question l’efficacité des fonds souverains gérés par l’État.
Solution proposée :
L’État n’a pas à gérer l’épargne des citoyens. L’expérience montre que les fonds souverains, lorsqu’ils sont dirigés par l’État, sont souvent inefficaces et politiquement orientés. Au lieu de créer un fonds souverain, il faut réformer le système fiscal pour encourager les particuliers à investir dans des entreprises via des incitations fiscales (par exemple, des exonérations d’impôts pour les investissements dans les start-ups et les PME). La gestion de l’épargne doit être laissée au secteur privé, avec des règles de marché claires et transparentes.
Action : Suppression de l’idée de fonds souverain, mise en place d’incitations fiscales pour encourager l’investissement privé dans les entreprises.
5. Fiscalité et politique monétaire : une approche discutable
Marine Le Pen propose d’augmenter le taux minimal d’imposition des sociétés au sein de l’Union européenne, en le portant à 25 % contre 15 % actuellement. Elle souhaite également réorienter la politique de la Banque centrale européenne (BCE) vers des objectifs de plein emploi et de soutien à la productivité.
Point négatif :
Une augmentation du taux minimal d’imposition des sociétés risquerait de nuire à l’attractivité de la France pour les investissements étrangers. Avec des prélèvements obligatoires déjà parmi les plus élevés d’Europe (46 % du PIB), une telle mesure pourrait inciter les entreprises multinationales à relocaliser leurs activités vers des pays plus fiscalement avantageux.
De plus, réorienter la politique de la BCE vers des objectifs de plein emploi pourrait mettre en péril la stabilité de l’euro. La BCE doit rester concentrée sur son mandat principal, qui est la stabilité des prix. Toute tentative de manipulation de la politique monétaire pour des raisons autres que le contrôle de l’inflation pourrait entraîner une instabilité monétaire et une hausse de l’inflation, comme cela a déjà été observé avec des politiques d’assouplissement quantitatif (“quantitative easing”) peu efficaces.
Exemple concret :
L’Irlande a adopté une politique fiscale très favorable aux entreprises, avec un taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 %. Cela a attiré de nombreuses multinationales, notamment dans le secteur technologique, comme Google, Apple et Facebook. En conséquence, l’Irlande a bénéficié d’un afflux massif d’investissements étrangers directs, contribuant à un PIB par habitant nettement supérieur à celui de la France. Si la France augmentait son taux d’imposition des sociétés, comme le propose Marine Le Pen, elle risquerait de perdre en attractivité et de voir certaines multinationales se délocaliser vers des pays plus compétitifs fiscalement, comme l’Irlande.
Concernant la BCE, un exemple pertinent est celui du Japon, qui a longtemps utilisé sa politique monétaire pour soutenir la croissance économique, notamment via des taux d’intérêt très bas et des politiques d’assouplissement quantitatif. Bien que cela ait permis une certaine stabilité à court terme, ces politiques ont aussi contribué à une stagnation de l’économie japonaise sur le long terme, accompagnée d’une dette publique massive. Cette situation montre que l’utilisation de la politique monétaire pour des objectifs autres que la stabilité des prix peut avoir des effets indésirables.
Solution proposée :
L’augmentation des impôts sur les entreprises est une grave erreur qui réduit leur compétitivité et dissuade les investissements étrangers. Au lieu de cela, il faut réduire l’impôt sur les sociétés pour attirer les investisseurs et relancer la production. En ce qui concerne la politique monétaire, la BCE ne doit pas se concentrer sur le plein emploi. L’objectif unique de la banque centrale doit être la stabilité monétaire, pour éviter les manipulations inflationnistes. Une bonne politique monétaire consiste à stabiliser la valeur de la monnaie, car c’est ce qui permet une croissance durable de l’économie.
Action : Réduction de l’impôt sur les sociétés en France à 15 %, aligné sur l’Irlande pour attirer des entreprises. Maintenir l’indépendance de la BCE avec un mandat unique de stabilité monétaire.
Conclusion
Le programme économique de Marine Le Pen repose sur des idées fortes comme la réindustrialisation, la baisse des impôts de production et le soutien à l’énergie nucléaire. Toutefois, l’interventionnisme étatique proposé et les mesures protectionnistes risquent de fragiliser la compétitivité à long terme de l’économie française. Si certaines réformes peuvent avoir un impact positif à court terme, le manque de confiance dans les mécanismes de marché et la sur-intervention de l’État pourraient générer des inefficacités, étouffant ainsi la croissance et l’innovation.