Apple, la fiscalité, et le discours populiste : Mettons fin aux idées reçues
Récemment, certaines figures politiques comme Manon Aubry ont relancé le débat sur la fiscalité des grandes entreprises en prenant pour cible des multinationales telles qu’Apple. Selon elle, ces entreprises paieraient un pourcentage ridicule d’impôts, évoquant un chiffre de 0,0005 %, et dénonçant un “braquage en bande organisée”. Bien que cette déclaration puisse résonner auprès d’une population frustrée par les inégalités perçues, elle repose sur des simplifications outrancières. Elle passe complètement à côté des réalités fiscales et économiques auxquelles sont confrontées les entreprises mondiales.
Il est essentiel de décomposer ces affirmations et d’analyser ce qui est vraiment en jeu dans cette discussion.
Apple et la fiscalité : la réalité derrière les chiffres
Prenons un exemple concret : un iPhone vendu en France à 800 €. Le discours populiste voudrait faire croire qu’Apple ne paie quasiment rien en impôts. Pourtant, une analyse plus rigoureuse montre une tout autre image.
1. La TVA : 20% du prix de vente, soit 160 €, est reversée directement à l’État français. Cet argent ne reste pas dans les caisses d’Apple, il constitue une contribution importante à la fiscalité française.
2. Droit à la copie privée : 1,5%, soit environ 12 €, s’ajoute également au total des taxes.
3. Droits de douane et autres prélèvements : On peut estimer que quelques euros supplémentaires sont prélevés, ce qui porte la contribution fiscale indirecte à environ 175 €, soit 22% du prix de vente d’un iPhone avant même que l’on parle des marges ou des bénéfices.
Au total, sur un produit vendu 800 €, environ 175 € sont automatiquement récupérés par l’État français sous forme de diverses taxes. Alors, où est cette idée de “0,0005 % d’impôts” qui circule ? Il est tout simplement faux de dire qu’Apple ne paie rien. Cette première couche de taxes et contributions en témoigne.
Optimisation fiscale : une réalité légale
Il est bien sûr vrai qu’Apple et d’autres grandes entreprises optimisent leur fiscalité pour réduire leur charge fiscale globale. En 2022, Apple a payé environ 35 milliards de dollars d’impôts à l’échelle mondiale, ce qui correspond à environ 8,75 % de son chiffre d’affaires qui s’élève à environ 400 milliards de dollars. Pour mettre cela en perspective, cela signifie qu’Apple a payé, en un an, plus en impôts que le budget annuel de certains petits pays.
Il est également important de souligner que cette optimisation fiscale se fait dans un cadre légal. Apple, comme beaucoup d’autres multinationales, utilise des structures de holding et des accords fiscaux internationaux pour minimiser ses impôts. Cela ne signifie pas que l’entreprise échappe totalement à l’impôt, mais qu’elle suit les règles du jeu établies par les gouvernements eux-mêmes.
Le mythe du “braquage en bande organisée”
Il est facile de dénoncer un “braquage en bande organisée” et de pointer du doigt les entreprises comme responsables de tous les maux. Mais il est crucial de reconnaître que ce sont les États eux-mêmes qui créent les incitations à ces pratiques. Prenons l’exemple de l’Irlande, qui propose un taux d’imposition sur les sociétés de 12,5 %, bien inférieur à celui de la France (26,5 % pour 2023). Ce taux attractif a fait de l’Irlande une destination privilégiée pour les sièges européens de nombreuses multinationales, y compris Apple.
Cependant, ce faible taux d’imposition irlandais a également permis d’attirer des milliards d’investissements directs étrangers et de créer des milliers d’emplois. Cela montre que les États, en quête d’investissements et d’emplois, sont prêts à concéder des avantages fiscaux. Ce n’est pas un braquage, c’est une stratégie d’attraction des investissements qui profite à l’économie locale.
En France, au contraire, le taux élevé d’imposition des sociétés pousse les entreprises à chercher des solutions pour réduire leur fardeau fiscal. Si le cadre fiscal français était plus compétitif, de telles pratiques d’optimisation seraient bien moins fréquentes.
Des exemples concrets d’entreprises impactées
D’autres entreprises que Apple subissent également ce phénomène de double taxation et d’accusations infondées.
Prenons le cas de Google. En 2020, Google a été condamné à payer 1 milliard d’euros à la France pour avoir échappé à l’impôt via des montages fiscaux complexes, notamment en passant par l’Irlande et les Pays-Bas. Pourtant, à l’échelle de l’entreprise, cet arrangement respectait les lois fiscales en vigueur à l’époque. Une autre preuve que ce sont les gouvernements qui permettent ces pratiques, et non des entreprises qui agissent en dehors du cadre légal.
Un autre exemple est celui de Starbucks au Royaume-Uni. L’entreprise a été au centre d’un scandale en 2012 après avoir déclaré des pertes pendant plusieurs années tout en continuant à opérer des centaines de points de vente. Là encore, c’est le cadre fiscal britannique qui permettait à Starbucks de reporter ses bénéfices dans d’autres juridictions moins taxées. Mais à quel prix ? Une baisse des investissements locaux et une perte de compétitivité pour l’économie britannique.
Le problème de la sur-fiscalité française
En France, le problème fondamental n’est pas l’optimisation fiscale d’Apple ou de Google, mais la sur-fiscalité qui étouffe l’économie. Avec une pression fiscale globale avoisinant 65 % (impôts, charges sociales, taxes diverses), la France est l’un des pays les plus taxés au monde. Résultat ? Les entreprises, grandes comme petites, cherchent à minimiser leurs charges pour rester compétitives.
En 2022, selon l’OCDE, la France a enregistré un taux de prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) de 45,2% du PIB, bien au-dessus de la moyenne des pays développés qui est de 34,1%. Cette sur-fiscalité, combinée à un système social coûteux, freine l’initiative privée, étouffe l’innovation, et pousse les entrepreneurs à chercher des solutions ailleurs.
Réforme fiscale : une nécessité vitale
Si la France veut redevenir un acteur économique fort, il est impératif de réformer son système fiscal. Plutôt que de continuer à durcir les règles fiscales et à accabler les entreprises de nouvelles taxes, nous devrions chercher à créer un environnement où les entreprises, grandes et petites, voudront et pourront investir.
Voici quelques pistes à explorer :
1. Réduire l’impôt sur les sociétés pour le rapprocher des niveaux européens compétitifs. Pourquoi ne pas viser un taux de 15 %, similaire à celui de l’Irlande, tout en élargissant l’assiette fiscale pour éviter les trous dans le budget ?
2. Simplifier le système fiscal pour éviter les niches et les exceptions qui profitent principalement aux grandes entreprises. Un système plus transparent et plus équitable serait plus difficile à exploiter pour des optimisations agressives.
3. Encourager l’investissement local avec des incitations fiscales pour la création d’emplois et d’innovations. Les entreprises doivent être récompensées pour investir dans le tissu économique local, au lieu d’être découragées par une fiscalité punitive.
4. Harmoniser les règles fiscales européennes. Tant que chaque pays de l’UE proposera des régimes fiscaux aussi disparates, les entreprises profiteront naturellement des failles du système. Une fiscalité harmonisée permettrait d’éviter la compétition fiscale qui mine l’intégrité des budgets nationaux.
Conclusion
Le discours populiste qui vise à diaboliser les multinationales comme Apple est contre-productif. Il fait miroiter des solutions simplistes à des problèmes extrêmement complexes, tout en masquant les véritables problèmes structurels. Ce n’est pas en accusant les entreprises de tous les maux que nous relancerons l’économie française.
La réalité est que la France doit avant tout réformer son propre système fiscal pour le rendre plus compétitif et attractif. Les entreprises ne sont pas l’ennemi : elles contribuent massivement à l’économie à travers la création d’emplois, l’innovation et le paiement de taxes directes et indirectes. Il est temps de cesser cette chasse aux sorcières fiscale et de reconnaître que l’enjeu véritable est la compétitivité fiscale de la France dans une économie mondialisée.