Comment la France est-elle tombée en pénurie de médicaments ?

La rédaction

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Publié le 1 octobre 2024
Comment la France est-elle tombée en pénurie de médicaments ?

Un leadership industriel fort... jusqu'aux années 80

La France, autrefois une puissance industrielle reconnue dans le secteur pharmaceutique, a progressivement perdu sa souveraineté sur la production de médicaments. Pendant des décennies, le pays possédait un réseau solide de sites de production et de laboratoires capables de répondre aux besoins nationaux et d'exporter vers l'étranger. Cette époque était marquée par des politiques industrielles actives, notamment sous les Trente Glorieuses, qui privilégiaient une production locale forte. Les grands laboratoires français, tels que Sanofi, étaient des leaders mondiaux.

L'érosion de la production locale : la mondialisation des années 90

Le basculement a eu lieu dans les années 1990, avec l'accélération de la mondialisation. Les gouvernements successifs, sous pression des marchés et des grands lobbies internationaux,ont choisi de privilégier la réduction des coûts de production en facilitant la délocalisation vers

La dérégulation et l'obsession du coût

des pays à bas coûts comme la Chine et l'Inde. Cela s'est traduit par la fermeture de nombreuses usines en France, notamment celles produisant des substances actives, laissant le pays progressivement dépendant de fournisseurs étrangers.

C'est à cette période que des politiques d'austérité budgétaire ont également vu le jour. Le système de santé a été soumis à une pression croissante pour réaliser des économies, entraînant des baisses de prix des médicaments imposées par l'État.

Les laboratoires, pour compenser ces pertes de marge, ont amplifié la délocalisation de leur production.

Une autre action décisive a été la dérégulation progressive des chaînes d'approvisionnement.

Pour répondre à des impératifs de compétitivité et de coûts, l'Europe dans son ensemble, mais particulièrement la France, a encouragé les laboratoires pharmaceutiques à délocaliser la production des substances actives.

L'idée était simple : pourquoi produire localement, où les coûts de main-d'œuvre et de conformité sont plus élevés, alors qu'il est possible de le faire beaucoup moins cher ailleurs ? Le calcul économique, à court terme, semblait gagnant. Mais personne n'a envisagé les effets à long terme.

La conséquence immédiate fut une délocalisation massive vers l'Asie : aujourd'hui, plus de 80 % des principes actifs pharmaceutiques sont produits en Chine et en Inde. Cela a privé la France de son infrastructure de production et a rendu la chaîne d'approvisionnement extrêmement vulnérable.

La Dépendance : une stratégie suicidaire

La situation actuelle découle de choix stratégiques désastreux faits il y a plus de deux décennies.

En 2023, plus de 80 % des principes actifs des médicaments utilisés en France sont produits à l'étranger, principalement en Asie. Cette externalisation a été motivée par des considérations de coûts, mais à quel prix?

À mesure que la Chine et l'Inde sont devenues les principales sources de production, la France a perdu tout contrôle sur son approvisionnement. La crise du COVID-19 a déjà montré à quel point cette dépendance était dangereuse, mais aucune leçon n'a été tirée. Le manque de vision industrielle et l'obsession pour les économies de court terme ont asphyxié la production locale, ce qui se traduit aujourd'hui par des pénuries chroniques.

Prenons l'exemple de l'amoxicilline, un antibiotique essentiel. En 2022, la France en a manqué pendant des mois, laissant des milliers de patients sans traitement. Comment est-il possible qu'un pays comme la France,soit incapable de garantir la disponibilité d'un antibiotique de base?

L'inertie politique face aux avertissements

Il ne faut pas oublier que cette dépendance croissante a été maintes fois signalée, y compris par des experts de la santé publique et des industriels. Dès les années 2000, les premières pénuries de médicaments ont été observées. Mais au lieu de prendre des mesures correctives, les gouvernements français ont fait preuve d'une inertie incroyable, préférant temporiser plutôt que d'agir. Une autre erreur politique majeure a été l'absence de soutien massif à l'innovation et à la recherche dans le secteur pharmaceutique. Plutôt que de renforcer les capacités locales de recherche et de développement, la France a laissé s'éroder son leadership en la matière, poussant des talents et des capitaux vers des zones à plus forte attractivité fiscale, comme les États-Unis ou la Suisse.

Les responsabilités: une classe politique aveugle

Le cœur du problème est politique. Depuis plusieurs gouvernements, la gestion de la santé publique et de l'industrie pharmaceutique a été laissée aux mains d'une bureaucratie incompétente, dont la seule réponse aux crises est de créer des comités et de rédiger des « feuilles de route ».

La feuille de route 2024-2027 proposée par le gouvernement Borne est un exemple flagrant de ce manque de vision : elle promet des réformes à long terme, mais ignore l'urgence immédiate.

La crise du COVID-19 : révélatrice mais ignorée

La pandémie de COVID-19 a joué le rôle d'un puissant révélateur.

Face à la demande mondiale de médicaments et d'équipements médicaux, la dépendance à la Chine et à l'Inde s'est brutalement fait sentir.

La France, comme d'autres pays européens, s'est retrouvée à la merci de ses fournisseurs étrangers. Malgré cela, les mesures prises après cette crise restent largement insuffisantes.

Alors que tout le monde parlait de la nécessité de « souveraineté sanitaire », très peu a été fait pour reconstruire une chaîne d'approvisionnement indépendante.

Les conséquences : un effondrement annoncé

Les conséquences de cette pénurie ne se limitent pas à la gêne pour les patients qui doivent faire plusieurs pharmacies pour trouver leurs médicaments. Elle menace directement la santé publique et met en danger les vies de millions de Français.

En 2023, l'ANSM a signalé une augmentation de 30 % des ruptures d'approvisionnement, touchant aussi bien les hôpitaux que les pharmacies de ville. Les anticancéreux, les antibiotiques, et même des traitements contre des maladies chroniques sont régulièrement en rupture, avec des conséquences dramatiques sur les soins.

Prenons l'exemple des hôpitaux.

En cas de manque de médicaments critiques comme les anesthésiques ou les anticancéreux, c'est tout le système de santé qui vacille. Des chirurgies sont reportées, des traitements vitaux sont interrompus, et les patients les plus fragiles se retrouvent en première ligne de cette crise évitable. Comment en est-on arrivé là ? Simple : à force de délocaliser, nous avons perdu toute maîtrise sur les chaînes d'approvisionnement, et l'État, loin de reprendre le contrôle, se contente d'observer impuissant.

L'échec des gouvernements récents

La gestion du dossier par les gouvernements récents, y compris sous le mandat d'Élisabeth Borne,montre une incapacité flagrante à comprendre la gravité de la situation. Plutôt que de relancer une industrie pharmaceutique locale, l'État continue d'adopter une approche bureaucratique avec des « feuilles de route » et des « comites de pilotage », mais sans plan d'action concret à court terme. La feuille de route 2024-2027 en est un exemple frappant : elle propose des solutions floues à horizon lointain alors que la crise exige des actions immédiates.

Le plan proposé pour la relocalisation de certaines usines pharmaceutiques est bien trop tardif. Cela fait plus de 20 ans que la France se dépouille de ses capacités de production, et reconstruire cette industrie nécessitera des investissements colossaux, qui auraient dû être faits il y a une décennie.

Que faire ? Une relocalisation urgente et massive

Le remède à cette crise est évident : il faut restaurer la souveraineté pharmaceutique de la France. Cela passe par une relocalisation massive de la production des médicaments essentiels sur le territoire national. Les industriels français doivent être soutenus par des incitations fiscales et des subventions pour construire de nouvelles usines, tandis que les entreprises étrangères doivent être incitées à rapatrier leurs sites de production en Europe.

Cette relocalisation ne se fera pas en un jour, mais elle est nécessaire si l'on veut sortir de cette spirale de dépendance. Le gouvernement, au lieu de gaspiller des milliards dans des projets inutiles, doit investir dans l'infrastructure pharmaceutique,en mettant en place des mécanismes de financement clairs pour sécuriser la production nationale. Sans cela, la situation continuera de s'aggraver, et la France deviendra un simple client dans un marché dominé par des puissances étrangères.

Conclusion : une crise prévisible, mais ignorée

Comment avons-nous pu en arriver là ?

Simple : par une accumulation de mauvaises décisions, une obsession pour la réduction des coûts à court terme, et une inaction politique face aux avertissements répétés des experts. Les gouvernements ont préféré la mondialisation facile et la dérégulation à une stratégie de souveraineté et de contrôle national.

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