Shadow Banking : Le Monstre Caché de la Finance Moderne

La rédaction

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Publié le 3 novembre 2024
Shadow Banking :  Le Monstre Caché de la Finance Moderne

L’économie moderne est comme un gigantesque château de cartes, et si l’une des cartes cachées en bas venait à tomber, tout l’édifice pourrait s’effondrer. C’est exactement ce que représente le shadow banking, ou système bancaire parallèle. Un secteur de la finance souvent ignoré du grand public, mais pourtant capable de secouer les fondations mêmes du système financier mondial.

Avec l’ampleur qu’il a prise ces dernières décennies, le shadow banking s’est transformé en un colosse aux pieds d’argile, gérant des sommes astronomiques de capitaux tout en échappant aux radars de la régulation. Mais pourquoi ce secteur existe-t-il ? Comment a-t-il pu croître à un tel point de mettre l’économie globale à risque ? Et surtout, que se passera-t-il lorsque cette bulle financière éclatera ?

L’Émergence du Shadow Banking : Un Système Invisible à L’Oeil Nu

Pour bien comprendre le phénomène, il faut remonter au début des années 2000. À cette époque, les banques étaient de plus en plus régulées suite aux multiples scandales financiers des années 90, mais la soif de profits, elle, n’a jamais faibli. Les grands acteurs financiers ont alors trouvé un moyen de contourner ces nouvelles régulations : faire appel à des entités qui ne sont pas soumises aux mêmes contraintes. C’est ainsi qu’est né ce que l’on appelle aujourd’hui le système bancaire parallèle.

Ces institutions, qu’il s’agisse de hedge funds (fonds spéculatifs), de private equity (sociétés de capital-investissement) ou de SIVs (vehicules d’investissement structuré), ont pu échapper à la surveillance des régulateurs en opérant hors du cadre traditionnel bancaire. Pas besoin de se soumettre aux ratios de solvabilité ou de liquidité imposés aux banques. Pas de comptes à rendre aux régulateurs. C’était un paradis pour les financiers en quête de profits démesurés. Mais ce paradis est devenu un enfer latent pour l’économie globale.

D’après le Conseil de Stabilité Financière (FSB), entre 2007 et 2021, la taille du shadow banking a plus que doublé, passant de 30 000 milliards de dollars à 60 000 milliards de dollars. Ce chiffre, à lui seul, suffit à provoquer des sueurs froides. À titre de comparaison, la dette mondiale s’élève à 305 000 milliards de dollars en 2022. Autrement dit, près de 20% de la finance mondiale est aujourd’hui entre les mains de ces acteurs opaques.

Les Produits Opaques : L’Art de Cacher les Bombes

Le shadow banking ne se contente pas de prêter de l’argent de manière classique. Il raffine ses outils, les complexifie jusqu’à ce que même des financiers aguerris peinent à en saisir les subtilités. C’est ainsi que sont nés les produits dérivés, et en particulier les fameux Credit Default Swaps (CDS), qui ont joué un rôle clé dans la crise des subprimes en 2008.

Le CDS est un produit financier qui permet à un investisseur de “s’assurer” contre le défaut d’un emprunteur. Mais en réalité, ce marché s’est transformé en une gigantesque machine à parier. Les investisseurs ont commencé à acheter des CDS sur des entreprises, des pays ou des prêts immobiliers risqués, comme s’il s’agissait de paris sur une course de chevaux. En cas de crise, ces paris se retournent contre les acteurs financiers de manière dévastatrice. Le problème ? Personne ne sait vraiment qui détient quoi, et où se trouve le véritable risque.

L’Exemple de Lehman Brothers : Une Leçon Non Apprise

En 2008, lorsque Lehman Brothers, une des plus grandes banques d’investissement des États-Unis, a fait faillite, c’est tout l’échafaudage du système financier qui a tremblé. Pourquoi ? Parce que Lehman était un acteur majeur du shadow banking. Leurs engagements financiers, via des produits dérivés et des obligations complexes, étaient immenses, et personne ne savait à quel point ils étaient vulnérables.

Lorsque Lehman s’est effondré, ce n’est pas seulement la banque elle-même qui est tombée. Tous les acteurs ayant prêté de l’argent à Lehman, ou ayant acheté des produits financiers adossés à ses actifs, ont subi des pertes gigantesques. Ce fut un effet domino : le marché des subprimes, déjà instable, s’est complètement effondré, plongeant des millions de familles dans la précarité et forçant les gouvernements du monde entier à injecter des milliers de milliards de dollars dans l’économie pour sauver le système financier.

Et pourtant, malgré ce cataclysme, le shadow banking n’a fait que croître. Les leçons de 2008 semblent avoir été rapidement oubliées. Aujourd’hui, le secteur est plus vaste, plus complexe et, par conséquent, plus dangereux que jamais.

La Bombe à Retardement Chinoise

En Occident, l’impact du shadow banking est significatif, mais ce n’est rien comparé à ce qui se passe en Chine. Le shadow banking chinois a explosé après 2008, lorsque le gouvernement a encouragé les banques à prêter massivement pour soutenir l’économie. Mais les banques, elles aussi, ont leurs limites. Pour contourner les restrictions imposées par Pékin, les prêteurs se sont tournés vers le shadow banking.

Aujourd’hui, la taille du shadow banking en Chine est estimée à environ 8 000 milliards de dollars, et ces institutions non régulées jouent un rôle crucial dans le financement des entreprises chinoises. Le problème, c’est que ces entreprises, en particulier dans le secteur immobilier, sont massivement endettées. Le géant immobilier chinois Evergrande, dont la dette a atteint près de 300 milliards de dollars, en est l’exemple le plus flagrant.

Le jour où cette bulle éclatera – et c’est une question de quand, pas de si – les répercussions se feront sentir bien au-delà des frontières de la Chine. L’économie mondiale, déjà fragile après la crise du COVID-19, pourrait être déstabilisée par une nouvelle crise financière.

Les Marchés de Réplication : L’Ombre se Déplace

L’ironie, c’est que le shadow banking n’est pas un problème isolé d’un pays ou d’un continent. Il s’agit d’un phénomène global. En Europe, les marchés de réplication se sont développés pour permettre aux investisseurs de contourner les règles strictes imposées aux banques depuis la crise de 2008. Des structures comme les Special Purpose Vehicles (SPV), des sociétés fictives créées pour déplacer des actifs risqués hors des bilans des banques, sont devenues courantes. Le scandale des LuxLeaks en 2014 a révélé comment ces SPV étaient utilisés pour échapper à l’impôt et dissimuler des actifs à risque.

Faut-il Réguler ?

Certains économistes, comme Paul Krugman, appellent à une régulation plus stricte du shadow banking. Selon eux, laisser ce secteur croître sans supervision est une bombe à retardement. Il est impératif d’imposer des normes de transparence et des exigences de capital pour éviter une nouvelle crise.

D’autres, comme les tenants de l’école autrichienne, estiment au contraire que toute tentative de régulation du shadow banking ne ferait qu’empirer les choses. Selon cette vision, toute intervention de l’État dans l’économie – y compris dans le shadow banking – crée des distorsions qui finiront par nuire à l’efficacité du marché. Ils prônent une libéralisation totale du système financier, estimant que le marché saura s’autoréguler.

Mais l’histoire récente semble prouver le contraire.

Et Après ? Un Monde Suspendu à une Étincelle

En 2023, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Andrew Bailey, a averti que les risques du shadow banking étaient aujourd’hui plus grands que jamais, notamment en raison de l’interconnexion croissante entre le shadow banking et les banques traditionnelles. En d’autres termes, si le système parallèle s’effondre, les banques, même les plus prudentes, seront entraînées dans la chute.

Le shadow banking est un peu comme un cocktail explosif dont personne ne connaît la véritable recette. On sait qu’il est dangereux, on sait qu’il pourrait exploser, mais tant que la fête continue, personne n’a envie d’y penser. Pourtant, comme l’a prouvé Lehman Brothers en 2008, il suffit d’une étincelle pour que tout parte en fumée.

Alors, sommes-nous prêts pour la prochaine crise ? La réponse, c’est que nous ne le serons probablement jamais. Les banques centrales et les gouvernements se contentent de contenir les dégâts au fur et à mesure, mais le shadow banking continue de prospérer dans l’ombre, prêt à frapper à tout moment.

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