La parabole : outil divin ou poison intellectuel ?
La parabole, dans sa forme originelle, aurait dû être un joyau rhétorique : une histoire concise, subtile, capable d’illustrer une vérité universelle en une poignée de mots. Pourtant, son usage actuel – et historique – trahit un glissement inquiétant vers la simplification extrême et l’appauvrissement intellectuel. Ce glissement n’est pas neutre : il reflète un niveau de réflexion en déclin, dans une société où l’on préfère étirer des récits pauvres plutôt que d’aiguiser l’esprit avec une pensée dense et concise.
En d’autres termes, là où la parabole pourrait être un outil de réflexion active, elle est devenue l’illustration d’une pensée paresseuse et d’une population désormais incapable de saisir la complexité d’une phrase courte et percutante.
La parabole : d’un outil de finesse à un récit étiré et vide
À l’origine, la parabole se distingue par sa brièveté et sa capacité à condenser une vérité complexe dans une image simple. Prenons un exemple classique :
“Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu.”
Cette phrase, bien qu’idéologique et critiquable dans son fond, a au moins le mérite d’être concise. En dix mots, elle énonce une critique du matérialisme et incite à réfléchir sur la relation entre richesse et spiritualité. Mais que reste-t-il de cet esprit aujourd’hui ? Rien qu’une longue liste de récits étirés, truffés d’exemples triviaux et souvent dénués de subtilité. La parabole moderne s’étale sur des pages entières, remplie de détails inutiles, incapable de dire en quelques lignes ce qui pourrait être résumé par une phrase dense et intelligente.
Une société qui s’effondre dans le verbiage
Le problème, cependant, ne réside pas uniquement dans la parabole elle-même. Il réside dans son audience. Nous vivons dans une ère où le niveau intellectuel de la population a été délibérément abaissé. Ce phénomène, que l’on observe à travers l’appauvrissement de l’éducation et la montée des récits simplistes, a transformé l’auditoire en une masse incapable de comprendre des idées complexes exprimées de manière concise.
Prenons les fables de La Fontaine, qui incarnaient autrefois cet équilibre entre concision et richesse intellectuelle. Une phrase comme “Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient touchés” capture en quelques mots une vérité universelle : la fragilité collective face à une épidémie. Aujourd’hui, ce même concept nécessiterait des pages et des pages de banalités pour être expliqué, car le lecteur moderne a perdu l’habitude de réfléchir par lui-même.
Le parallèle avec la pandémie de COVID-19 est frappant. Cette crise mondiale a révélé une incapacité à formuler des idées claires et synthétiques, aussi bien dans les discours politiques que dans les médias. Chaque nouvelle vague d’infections a été accompagnée de communications interminables, souvent contradictoires, où la peur et la confusion dominaient. Là où La Fontaine aurait résumé l’essentiel en une phrase, nous avons été submergés par des heures de conférences de presse et des montagnes de données non contextualisées, rendant impossible une réflexion sereine. Ce verbiage, au lieu d’éclairer, a contribué à alimenter le chaos et la polarisation.
L’art de parler long pour ne rien dire
Cette détérioration du niveau intellectuel n’est pas seulement un accident de l’Histoire, mais le fruit d’une stratégie consciente. La parabole, dans son usage actuel, participe à cette tendance. En privilégiant des récits longs et dilués, elle contribue à endormir l’esprit critique plutôt qu’à l’aiguiser.
Regardez les discours politiques modernes. Là où une phrase forte pourrait condenser un message complexe, on nous abreuve de récits interminables et d’exemples anecdotiques. Cela n’a rien à voir avec une volonté d’éduquer ou d’élever, mais tout à voir avec un nivellement vers le bas. Plus un discours est long, plus il est vide. Plus il est vide, plus il est facile à consommer sans questionnement.
La parabole, en ce sens, devient le miroir d’une société qui préfère la passivité intellectuelle à l’effort de compréhension. Elle reflète une civilisation où l’art de la pensée courte et dense est en voie de disparition, remplacé par des récits qui disent beaucoup tout en ne disant rien.
Une civilisation du “court” qui a perdu sa substance
Ironiquement, alors que nos interactions sont de plus en plus courtes (tweets, clips vidéo, slogans), nos récits collectifs s’allongent et s’appauvrissent. C’est un paradoxe fascinant : la parabole, qui devrait briller par sa concision, devient un récit interminable dans un monde où l’attention humaine est réduite à quelques secondes.
Cela pose une question fondamentale : pourquoi cette contradiction ? La réponse est simple. La société moderne n’a pas seulement perdu sa capacité à comprendre des récits courts, elle a perdu son goût pour la densité intellectuelle. Une parabole concise et bien pensée, dans un monde de “névrosés du pouce”, serait perçue comme trop exigeante. Mieux vaut leur offrir une soupe narrative, étirée à l’infini, qui n’exige aucun effort de réflexion.
Vers une réhabilitation de la pensée dense
Faut-il alors rejeter la parabole ? Pas nécessairement. Mais il faut la réinventer. Elle ne peut plus se contenter d’être un outil de simplification. Dans une société où la pensée se réduit à des oppositions binaires, elle doit redevenir un outil de complexité. Cela implique :
1. La concision : Une parabole doit pouvoir transmettre une vérité universelle en quelques mots, sans s’étirer inutilement.
2. La densité intellectuelle : Elle doit pousser l’auditeur à réfléchir activement, au lieu de l’endormir avec des anecdotes ou des morales triviales.
3. La subversion : Une bonne parabole ne doit pas conforter, mais déranger, en posant des questions qui remettent en cause les dogmes dominants.
Conclusion : une arme à réinventer
La parabole, telle qu’elle est utilisée aujourd’hui, incarne une détérioration intellectuelle flagrante. Elle est devenue un outil de paresse mentale, adapté à une société qui préfère la passivité au questionnement. Mais elle n’est pas irrécupérable. En revenant à ses racines – concision, densité, subversion – elle pourrait redevenir un outil puissant pour une civilisation en quête de sens.
Encore faut-il que nous soyons prêts à faire cet effort. Car, comme le disait La Fontaine, en un vers qui résume tout :
“La raison du plus fort est toujours la meilleure.”
À nous de prouver qu’elle peut être la plus juste.
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